Maryna Voznyuk a proposé un home concert en streaming ce samedi 28 mars dont voici le replay
https://www.facebook.com/maryna.voznyuk/videos/10218824639141701/
Culturopoing vous propose de partir Ă sa dĂ©couverteâŠ
Sur la place chauffĂ©e au soleil, une fille sâest mise Ă jouer, lâĂ©glise lâappelle le bon dieu, le mendiant la charitĂ©, le soleil lâappelle le jour et le brave homme, la bontĂ©.[1]
Maryna Voznyuk est une artiste singuliĂšre protĂ©iforme. Entrer par le point dâachoppement pour faire disparaĂźtre lâĂ©difice dâoĂč est sortie sa musique est le premier tour de force de sa vĂ©locitĂ©. Ou lâart de maĂźtriser les formes passĂ©es pour en crĂ©er de nouvelles. Tension, syncope, climax comme dans VyĂŻdy-vyĂŻdy ou bien encore une musique qui revendique la tendresse sans miĂšvrerie. A la recherche de lâinnocence dâune origine perdue.
https://soundcloud.com/maryna-voznyuk/sets/lost-in-awakening
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Cette musique emprunte autant Ă ce quâon appelle la musique « savante » quâaux formes populaires, comme le fit le compositeur hongrois Bela BartĂłk. Pourtant elle Ă©chappe aux Ă©tiquettes trop faciles car avant tout musique de son Ă©poque et donc protĂ©iforme. Influences, convergences, explorations et fulgurances sont les portĂ©es sur lesquelles Maryna Voznyuk Ă©crit son histoire et sa musique.
https://soundcloud.com/maryna-voznyuk/schedryk
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Interview
Vasken Koutoudjian : Tu es née en 1984 et pendant Tchernobyl tu avais 3 ans, en quoi penses-tu que la radioactivité ait influencé ta musique !!?
Maryna Voznyuk : Un an et demi. Je ne pense pas que Tchernobyl ait influencĂ© ma musique plus que, par exemple, le Holodomor (grande famine) de 1933 ou la Seconde guerre mondiale, juste parce que physiquement jâai dĂ©jĂ Ă©tĂ© sur Terre au moment prĂ©cis de lâexplosion, juste Ă 130 km. Quoi que⊠peut-ĂȘtre que cette obsession de jouer vite, de taper fort, surtout dans les graves et puis passer dans les aigus tendres et aĂ©riennes, câest la radioactivitĂ© qui parle en moi, tu crois ?âŠ
Je pense, ou plutĂŽt je sens, que nous gardons en nous la mĂ©moire de beaucoup plus de gĂ©nĂ©rations que lâon ne puisse imaginer. Depuis le dĂ©but, en fait. Et va savoir quand il a eu vraiment lieu, ce « dĂ©but ». Peut-ĂȘtre que lĂ nous avons lâoccasion de le comprendre mieux⊠Quoi queâŠ
Jâessaye de rester positive en ce qui concerne lâhumain. Mais. Certes, on a des rĂ©vĂ©lations, des espĂšces dâilluminations. Surtout quand quelque chose de grave arrive. Comme maintenant. Sauf que. Ce « grave » a lieu partout, depuis longtemps. Toujours. Mais lorsque cela ne te concerne pas personnellement, tu ne te rends pas tout Ă fait compte de la gravitĂ© de ce qui se passe avec les « autres ». Tu comprends quelque chose, de lâordre de lâessentiel. Et puis tu lâoublies aussitĂŽt. Et câest reparti comme avant.
Mais je sens que cette fois-ci ce sera enfin diffĂ©rent ! Car cet « autre » nâexiste pas. Il nây a quâun groooos puzzle, et nous sommes tous ses minuscules particules. Je pense que nous nous retrouverons rĂ©ellement sur un autre niveau de conscience. Notre MĂšre Terre passe dâune dimension Ă lâautre et câest assez dĂ©stabilisant pour nous, terriens. NĂ©anmoins câest un pas nĂ©cessaire sur notre chemin Ă©volutif et on va le faire dâune façon peut-ĂȘtre pas la plus Ă©lĂ©gante qui soit mais certainement dâune façon dĂ©finitive.Vk : La musique rĂ©pĂ©titive a-t-elle une influence sur la tienne ? Si oui quelle est sa richesse ? On dit que le mal se cache dans la rĂ©pĂ©tition, pourquoi ce ne serait pas le cas en musique ? (câest la diffĂ©rence entre le tueur et le tueur en sĂ©rie !)
MV : Puisque tu poses cette question, câest sans doute le cas. Je ne peux pas dire que jâĂ©coute de la musique rĂ©pĂ©titive plus que, par exemple, du Bach ou des mantras⊠dâailleurs, ce sont aussi des musiques rĂ©pĂ©titives, tu trouves pas ?
Mais, bien sĂ»r, jâaime beaucoup certains compositeurs minimalistes ou des Ćuvres en particulier. Il mâest dĂ©jĂ arrivĂ© de vivre plusieurs jours, voire semaines, en Ă©coutant en boucle « Canto ostinato » de Simeon ten Holt, un minimaliste hollandais. Et quâest-ce que jâĂ©tais bien ! Ou alors jâai dĂ©couvert rĂ©cemment Julius Eastman â on lâa jouĂ© Ă plusieurs pianos au festival Pianoctambule au Mans â un Ă©vĂ©nement incroyable : 24H non stop de performances pianistiques ! Quel kiffe de jouer cette musique ! Câest une transe collective, les morceaux durent jusquâĂ 1h, voire plus. Et il est mort, en 1990, dans lâindigence et lâignorance totale, il nâavait mĂȘme pas 50 ansâŠ
La richesse de la musique rĂ©pĂ©titive est inĂ©puisable. Peut-ĂȘtre pour sâen rendre vraiment compte il ne suffit pas de lâĂ©couter mais il faudrait aussi la jouer. Pour moi, la musique et particuliĂšrement le clavier â un mĂ©canisme encore une fois trĂšs rĂ©pĂ©titif â câest un portail vers lâinfini. Je sais, ça sonne dâune façon extrĂȘmement pathĂ©tique mais câest comme ça, je nây peux rien.
Je ne connaissais pas cette expression en français, sur la rĂ©pĂ©tition et le mal⊠et dâailleurs je ne comprends pas son sens. En russe on dit (oui, je parle aussi russe, bien que je sois Ukrainienne et anti-Poutine) « ĐżĐŸĐČŃĐŸŃĐ”ĐœĐžĐ” â ĐŒĐ°ŃŃ ŃŃĐ”ĐœĐžŃ Â», ce qui signifie « la rĂ©pĂ©tition est la mĂšre de lâapprentissage »⊠Et dâailleurs, quelle est la diffĂ©rence entre un tueur et un tueur en sĂ©rie ?⊠Ah !⊠Je crois que je commence Ă deviner le sens de lâexpressionâŠ
VK : Comment est entrée la musique dans ta vie ? Et comment est-elle rentrée de maniÚre professionnelle ?
MV : Quand mes parents, plus prĂ©cisĂ©ment ma mĂšre, a Ă©changĂ© une vieille machine Ă coudre Singer contre un piano, aussi allemand et encore plus vieux que notre machine Ă coudre, jamais utilisĂ©e je crois⊠Jâavais 5 ans.
Jâai donc commencĂ© Ă dâabord aller chez une prof particuliĂšre (sa petite perruche qui volait partout dans lâappartement savait prononcer son adresse !), ensuite une Ă©cole de musique et ensuite le conservatoire supĂ©rieur. Ă la 4e annĂ©e de lâĂ©cole ma mĂšre, voyant que je souffrais assez, mâa proposĂ© dâarrĂȘter. Effectivement, ma professeure nâĂ©tait pas trĂšs Ă©panouie. Quâest-ce que tu veux: une femme seule avec enfant, salaire ridicule, aucune sĂ©curitĂ© sociale â câĂ©tait peu de temps aprĂšs la chute de lâUnion soviĂ©tique⊠à quoi jâai rĂ©pondu: « Ah non ! LâĂ©cole câest 7 ans, jâen ai dĂ©jĂ fait 4. Je ne vais quand-mĂȘme pas mâarrĂȘter Ă mi-chemin ? ». Je me souviens tellement bien de cet instant, câest incroyable⊠Ainsi ma mĂšre a osĂ© demander Ă la directrice de changer de professeur. Qui a dit: « Maryna, elle est chez cette enseignante ? Câest inadmissible. Pendant les auditions, je dors. Mais lorsque votre fille joue, je me rĂ©veille. Bien sĂ»r, on va vous changer de classe. » Je me suis donc retrouvĂ©e chez Tatiana Borisova â une femme dâune gĂ©nĂ©rositĂ© et bienveillance rares. GrĂące Ă qui, encore une fois ma mĂšre, a dĂ©cidĂ© que je devais absolument continuer mes Ă©tudes musicales au niveau supĂ©rieurâŠ
Je dois avouer que jâai pleurĂ© en sanglots lorsquâelle mâinscrivait au Conservatoire Reinhold GliĂšre. Et ce nâĂ©taient pas des larmes de bonheur⊠Jâavais 15 ans, je ne portais que du noir, jâĂ©coutais Black Sabbath et Nirvana (merci Ă mon grand frĂšre pour cette Ă©ducation musicale â jâai Ă©tĂ© bercĂ©e au hard rock et heavy metal, mĂȘme mon premier morceau retrouvĂ© Ă lâoreille Ă©tait une chanson de Metallica). Et tous les musiciens dits « classiques » me paraissaient extrĂȘmement ennuyeux. En costards et obligatoirement lunettes de vue⊠Jâai donc passĂ© une annĂ©e prĂ©paratoire avec cette professeure lĂ©gendaire du conservatoire, Olga Orlova. Elle avait dĂ©jĂ presque 80 ans quand je lâai rencontrĂ©e et dâaprĂšs ce quâon racontait, quand elle avait Ă©tĂ© plus jeune, ces cours finissaient de façon suivante: dâabord par la porte volaient les partitions et ensuite lâĂ©lĂšve. Jâallais donc prendre des cours particuliers chez elle pendant une annĂ©e. Câest toute une dynastie illustre de musiciens enseignants pianistes, elle vivait pourtant avec son mari, professeur lĂ©gendaire Ă©galement, dans un tout petit deux piĂšces en fin fond de Kyiv. Jây allais littĂ©ralement en priant. Et presque Ă tous les cours je pleurais. Mais quâest-ce que je lui suis reconnaissante, aujourdâhui, pour tout ce que jâai appris dâelle ! « Je ne vous apprends pas la musique, mais la vie », nous disait-elle. Fille de dĂ©portĂ©s, elle avait vĂ©cu une vie pas facile. Il faudrait une interview Ă part pour parler de cette femme incroyable.
Ă 19 ans, ayant terminĂ© ma scolaritĂ© dans cet Ă©tablissement, jâai « arrĂȘtĂ© » la musique pour devenir prof de FLE et interprĂšte. Cela faisait 2 ans dĂ©jĂ que je faisais mes Ă©tudes Ă lâUniversitĂ© nationale de Kyiv Taras Chevtchenko en linguistique, parallĂšlement Ă mes Ă©tudes musicales. Je me souviens, mes premiers cours dans la journĂ©e commençaient vers 9h et je terminais vers 23h. Ă vrai dire, je nâen pouvais plus de la pression et lâexigence sans fin de lâĂ©cole post-soviĂ©tique. Ce nâĂ©tait jamais assez bien.
Ensuite, grĂące Ă mes Ă©tudes en linguistique, oĂč jâĂ©tais passionnĂ©e par lâĆuvre de lâOuLiPo â je suis mĂȘme allĂ©e jusquâen doctorat oĂč jâĂ©tudiais le thĂ©Ăątre de la parole de ValĂšre Novarina⊠je nây comprenais pas grand-chose, jâavoue⊠pourquoi alors avoir choisi un tel sujet ? Sans doute parce que cela me rapprochait de la scĂšne⊠â donc, grĂące Ă ces Ă©tudes jâai eu une bourse du gouvernement français pour venir Ă©tudier en France le thĂ©Ăątre contemporain â thĂ©orie et pratique (oui, dans lâun de mes innombrables rĂȘves je me suis toujours vue actrice⊠câest peut-ĂȘtre pour ça que je travaille souvent avec le thĂ©Ăątre maintenant â merci, mes rĂȘves !), puis mĂ©diation culturelle, Ă Paris3, et⊠jâai dĂ©finitivement rĂ©alisĂ© que sans la musique de façon constante ma vie nâĂ©tait pas la mienne.
DrĂŽlement dĂ©primĂ©e, un beau jour printanier, je marchais dans une rue du 17e arrondissement oĂč jâhabitais Ă lâĂ©poque, et, oh providence divine, juste devant moi sâest dressĂ© un gros panneau rouge Ă©crit « CONSERVATOIRE». Je suis entrĂ©e, jâai balbutiĂ© quelque chose, mais la personne Ă lâaccueil avait compris que je demandais sâil y avait des classes de clavecin et dâorgue. Je ne voulais pas retourner en Ă©tudes de piano â jâavais Ă©tĂ© suffisamment traumatisĂ©e. Jâai rencontrĂ© les enseignants, qui, tous les deux, mâont vivement encouragĂ©e Ă faire le cycle spĂ©cialisĂ©. Et comme je nâavais pas la possibilitĂ© de travailler le pĂ©dalier dâorgue pour le concours, jâai optĂ© pour le clavecin. Dans tous les cas jâavais une affection particuliĂšre pour cet instrument depuis longtemps. Tellement il est beau, nâest-ce pas ??
Ainsi je me suis retrouvĂ©e inscrite au CRR de Paris, dans la classe de clavecin et de clavicorde dâIlton Wjuniski. Un musicien, un professeur et un ĂȘtre humain en or. Je nâavais jamais Ă©tĂ© autant soutenue. GrĂące Ă lui tout est reparti, encore pour quelques annĂ©es dâĂ©tudes (PĂŽleSupâ 93, Paris8âŠ) et enfin « la libertĂ© » !
VK : Quelle transcendance apporte pour toi la musique ?
MV : Je ne cogite pas quand je joue. Je vis lâinstant prĂ©sent. La chose la plus prĂ©cieuse qui existe. Si difficile Ă savourer vivant dâaprĂšs les lois de notre sociĂ©tĂ©. Et je nâai pas Ă parler pour mâexprimer. Avec la parole câest Ă©trange pour moi. Soit je nâose dire rien du tout, soit je nâarrive plus Ă mâarrĂȘter⊠Et puis, jâespĂšre ĂȘtre lâun des innombrables cĂąbles â on lâest tous, dâailleurs ! â Ă transmettre la lumiĂšre. Je me sens sombre, tellement souvent. Mais lorsque jâarrive Ă partager la lumiĂšre avec les autres, elle Ă©claire mon propre chemin.
VK : Si tu pouvais changer une chose (tu as ce pouvoir incroyable) et juste une dans la vie, quâest-ce que cela serait ?
MV : Si câest juste une seule chose â rien.
Sinon, si jâavais ce pouvoir incroyable, je voudrais faire en sorte que tout le monde soit heureux. Oui, je suis utopiste et naĂŻve⊠et ça, par exemple, je ne veux pas changerVK : Quelles sont les influences que tu revendiques ?
MV : Je ne sais pas si je les revendique, mais je suis trĂšs inspirĂ©e par: Bachar Mar-KhalifĂ©, Jozef van Wissem, Nils Frahm, Jean Rondeau, Lubomyr Melnyk⊠oh⊠il y en a tant ! Inutile de mentionner le seul, lâunique J.-S. B.?⊠Tu sais quâen russe et en ukrainien la prononciation de « Bach » et de « Dieu » ne se diffĂšre que dâune seule lettre ? Jâaime aussi Justice, Moderat. SĂ©bastien Tellier (quand il ne chante pas). Jâadore les classiques du hard rock et heavy metal, comme Ozzy Osbourne ou Metallica. Il y a un groupe incroyable, ukrainien (ce sont des amis !) que jâadore â DakhaBrakha. Et leurs sĆurs, Dakh Daughters (ils sont tous issus du mĂȘme thĂ©Ăątre Dakh). Ou un compositeur ukrainien, Myroslav Skoryk, lâauteur de la musique dâun film de Parajanov que jâadore, « Les chevaux de feux » â dâaprĂšs une nouvelle ukrainienne de MykhaĂŻlo Kotsyubynsky sur les mystĂ©rieux habitants des Carpates, les « houtsoul ». Qui dans lâoriginal dâailleurs sâappelle « Les ombres des ancĂȘtres oubliĂ©s ». Jâaime beaucoup Ă©galement Eduard Artemyev â câest le compositeur fĂ©tiche de Tarkovski. Je suis admirative de sa façon de revisiter Bach aux synthĂ©s analogiques. AprĂšs tout, qui nâa pas « revisitĂ© » Bach, mĂȘme sans le savoir⊠Parmi les dĂ©couvertes rĂ©centes â une sorciĂšre sonore suisso-algĂ©rienne, FlĂšche Love.
VK : Comment parles-tu de Vladimir Horowitz, le maßtre Ukrainien ? Que représente-t-il ?
MV : Avec Ă©normĂ©ment de respect et de tendresse. Il avait un sacrĂ© caractĂšre, Ă ce quâil paraĂźt⊠Et quand il Ă©tait vieux il avait lâarthrose, mais il continuait Ă donner des concerts. Donc avant de dĂ©marrer Ă travailler les Ćuvres il se chauffait pendant 2 heures, minimum. Cela mâavait toujours beaucoup impressionnĂ©, cette anecdote.
Dâailleurs, adolescent, il avait fait ses Ă©tudes au mĂȘme conservatoire que moi ado. Jâavais mĂȘme travaillĂ©, comme traductrice, au Concours international Horowitz qui a lieu Ă Kyiv. Et un jour, je me souviens, jâavais piquĂ© une affiche dans la salle de direction. Câest ce fameux portrait, oĂč il pose sa main Ă cĂŽtĂ© de son oreille, comme sâil Ă©coutait quelque chose. Je lâavais mis au dessus de mon piano. Et trĂšs souvent quand je travaillais, je le regardais. Je te jure, il avait Ă chaque fois une expression de visage diffĂ©rente â quand je jouais mal il exprimait du mĂ©pris, et quand câĂ©tait plutĂŽt bien le grand Vladimir Ă©tait assez admiratif.
VK : Comment travailles-tu la composition de tes morceaux ?
MV : Câest elle qui me travaille, dirais-je. Jâimprovise. Je prends un thĂšme ukrainien â ou pas de thĂšme, juste une impulsion physique, ou un enchaĂźnement harmonique : les doigts se mettent eux-mĂȘmes Ă bouger, trouvent une boucle qui les emporte â et je mâamuse avec. Puis, ce que je nâoublie pas (maintenant jâai pris lâhabitude non seulement dâenregistrer des idĂ©es mais aussi de les noter en dĂ©tail â quâest-ce que câest pratique, dis-donc !) jâharmonise, jâaffine, je structure. Plus je travaille, plus il y a des choses Ă travailler. Au moins, je ne mâennuierai jamais mĂȘme si lâon annonce une quarantaine Ă©ternelle⊠je touche du bois, bien entendu. Et chez nous il faut en plus cracher trois fois derriĂšre lâĂ©paule gauche, ce que je fais immĂ©diatement !
Dâailleurs, concernant lâimprovisation, je dois dire que câĂ©tait un Ă©norme blocage pour moi. Suite Ă toutes ces annĂ©es dâĂ©tudes « classiques » jâĂ©tais incapable de toucher un clavier si je nâavais pas une partition ou quelque chose sous les doigts par cĆur. Câest grĂące Ă ma formation en musique ancienne et surtout la collaboration avec des musiciens « actuels » que jâai rĂ©ussi Ă dĂ©passer ce blocage. Jamais jâaurais pu imaginer de crĂ©er « mes » morceaux. Câest pour cela que je fais toujours de lâimpro et de la compo avec mes Ă©lĂšves.
VK : Peux-tu donner une musique (pas de toi) pour faire la guerre ? Pour rĂȘver ? Pour faire lâamour et une pour voyager ?
MV : 1. Aucune. Faites pas la guerre, Ă©coutez le point 3 !!
2. Toutes.
3. Adi Shakti Mantra. Ou les chants des rossignoles en live. Le vent. La mer. Le battement des cĆursâŠ
4. « Canto ostinato » de Simeon ten Holt (si lâon voyage en train).VK : Dans Somewhere Over There (Desâ Tam) que veux dire « Desâ Tam » ?
 MV : « Somewhere over there » En français â « quelque part par là ».
En fait, câest le dĂ©but de la chanson â « Podolyanochka » â dont la mĂ©lodie a inspirĂ© ce morceau. Mais pas tout Ă fait. Le texte commence avec « Quelque part par ici, il y a avait une jeune fille⊠». Lâhistoire parle dâune jeune fille, qui nâa pas eu dâeau pendant sept ans et elle ne pouvait pas laver son beau visage⊠Dans le folklore ukrainien il y a cette tradition des chants rituels, jeux, qui cĂ©lĂšbrent chaque saison de lâannĂ©e. Câest liĂ© Ă la croyance qui Ă©tait sur nos terres avant que le christianisme soit imposĂ©. Le paganisme: une divinitĂ© pour chaque force de la nature â Dieu du Soleil, Dieu du Vent etc⊠Jây crois toujours, dâailleurs. Et toutes les activitĂ©s de mes ancĂȘtres, festives comme quotidiennes, Ă©taient accompagnĂ©es par les chants. Surtout, il nây avait pas tous ces moyens de distraction dâaujourdâhui.
Donc, cette chanson, « Podolyanochka », câest un chant-jeu du printemps (vesnyanka). CĂ©lĂ©brant la renaissance de la nature. Comme un autre morceau, « VyĂŻdy-vyĂŻdy » (« Viens, viens »), qui appelle le printemps. Le morceau « Desâ tam », pour moi, câest un rĂ©cit sur quelque chose de lointain. Jâavoue que je pensais aussi Ă la guerre en Ukraine, que jâai vĂ©cu ici, en France. CâĂ©tait trĂšs douloureux. Et puis lâimage de lâeau, avec toute sa force puissante, tourbillonnante et calme Ă la foisâŠ
VK : LĂ encore la rĂ©pĂ©tition sert beaucoup le morceau. Peut-ĂȘtre que le premier Ă lâavoir autant servi dans la musique câest Ravel et son BolĂ©ro. Pour dâautres la rĂ©pĂ©tition câest le mal absolu, comme le meurtre en sĂ©rie qui est un paroxysme, du coup comment dĂ©finir la rĂ©pĂ©tition en musique ? Que sert-elle ?
MV : Pour moi câest une sorte de mĂ©ditation. Notre vie câest une rĂ©pĂ©tition constante. Gauche, droite, gauche, droite, inspirer, expirer, inspirer, expirer, allongĂ©, debout, allongĂ©, debout, naissance, mort, naissance, mortâŠ
La rĂ©pĂ©tition est dans tous les folklores, les musiques spirituelles. Je pense quâon la sous-estime, si lâon la considĂšre comme « mal absolu ». En tout cas câest lâorigine. En tout cas pour moi. Et le fait de revenir Ă mes racines par le folklore me charge dâune force dont jâai tant besoin pour vivre dans cette Ă©poque cruelle. Mais quelle Ă©poque, au fait, nâa pas Ă©tĂ© cruelle ?âŠ
VK : Quâest-ce que la musique peut exprimer que les mots ne peuvent raconter ?
MV : Tout.
VK : Quels sont tes projets immédiats ? Plus lointains ? Absolus ?
MV : Je suis en rĂ©sidence Ă lâEspace en cours depuis septembre 2019 (câest un paradis terrestre dans le 20e arrondissement de Paris, un havre de paix, une initiative totalement privĂ©e â chapeau et grand merci Ă Julie et Didier Heintz), oĂč je me concentre sur la prĂ©paration de mon premier album solo et le set live. Qui, un jour, deviendra un spectacle. Et on travaille avec le Street barocco duo WĂ€ndalism que nous avons crĂ©Ă© avec le rappeur lyrique et virtuose du beatbox et de la loop station RaphaĂ«l Otchakowsky. Le nom du groupe est un hommage Ă Wanda Landowska â actrice majeure du renouveau baroque â et Ă la culture urbaine. Nous travaillons notre live avec un merveilleux VJ-magicien StĂ©phane Privat. Et jâai beeeeaucoup dâĂ©lĂšves.
En ce moment je repense mes cours « Ă distance ». Câest une pĂ©riode exceptionnelle que lâon est en train de vivreâŠÂ  on en sortira tous « reloaded », jâen suis convaincue.Dans lâabsolu mon projet est dâĂȘtre en bonne santĂ© physique et mentale â si câest possible dans le monde dans lequel on vit. Eh bien, justement, câest le dĂ©fit. Et aprĂšs tout, comme disait Che Guevara: « Soyons rĂ©alistes, exigeons lâimpossible! »
VK : Quâest-ce que la musique peut dire que les mots ne peuvent exprimer ?
MV : Toujours tout.
VK : Jouer avec Kazunari Abe ça reprĂ©sente quoi pour toi ce genre de mĂ©tissage ? La mĂ©tisse chez les grecs anciens câest la ruse, quelle part de ruse y-a-t-il dans la musique et pourquoi ?
MV : Kazunari est incroyable. Avant de sâĂȘtre parlĂ© on a dâabord jouĂ© ensemble. La musique est dĂ©finitivement un langage universel et absolu. On sâest rencontrĂ© pour un projet franco-ukraino-japonais du cirque contemporain, mis en scĂšne â enfin, il nây avait pas de scĂšne, on Ă©tait dans les champs â donc mis en champs par Bernard Quental et Michiko Tanaka, en plein cĆur des vignes de Champagne-Ardenne â expĂ©rience inoubliable. A peine arrivĂ©, il a commencĂ© Ă jouer une mĂ©lodie traditionnelle japonaise au shinobue (flĂ»te en bambou), et je lâai rejoint au clavecin avec le jeu de luth, en impro. MĂ©tissage parfait, quand Ă moi. Câest lâenregistrement quâil y a sur ma page soundcloud, fait avec un tĂ©lĂ©phone â lâinstant Ă©tait tellement prĂ©cieux que jâavais envie de le partager.
La ruse ? Comme le mensonge ? Alors là ⊠ce sera ma rĂ©ponse la plus brĂšve: « EuhâŠÂ »
VK : Si tu nâavais pas fait de musique que penses-tu que tu aurais fait ?
MVÂ : Jâaurais souffert.
Â
MARYNA VOZNYUK
https://www.facebook.com/Maryna-Voznyuk-108140594168966/
SOUNDCLOUD:
https://soundcloud.com/maryna-voznyuk?fbclid=IwAR1jtfe0TN5eXCo4Zizqq70hhhq_KIWhDxKj5-pTDPVrEVAXpbdnfrJt8PA
CREDIT PHOTO DE « UNE »:
Maya Matilda Carroll, âConfinement portraitsâ, Espace en cours, Paris, March 2020
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[1] DâaprĂšs J. Brel, sur la place.